Photographies composites obtenues en plusieurs prises avec les personnes photographiées.
Création photographique et sonore Pascal Fayeton, Alain Michon, 9 photographies seules, 2 séries de mains, 1 mixage voix, 1 mixage jukebox cabaret. Théâtre Liberté du 23 janvier au 29 février 2012
Une commande du théâtre Liberté de Toulon, 2011, réalisé avec l’artiste sonore Alain Michon, en complément de la programmation de spectacles sur l’exil de la mythologie grecque jusqu’à l’histoire contemporaine.
Alian Michon et moi devions travailler avec les travailleurs émigrés retraités, les chibanis, à Toulon sur le sentiment de l’exil à la fin d’une vie active. Nous avons rencontré ces hommes au centre d’hébergement et réveillons des récits d’enfance dans un lieu peu désirable. Alain a mixé plusieurs témoignages par expériences similaires : l’enfance courte, la quête d’eau, la famine, le voyage, l’errance, le retour impossible, l’étique, la dureté du monde, l’aboutissement heureux d’une vie. Nous avons composé tour à tour avec Lahcenne, Ramdane, Nasser, Bouziane, Farhat, Omar. Nous avons entendu les récits des vieux migrants retraçant jusqu’à ce jour les transformations d’un homme à l’autre.
Quels sont les contes reracontés… des comptes toujours recalculés. Des années Des mètres carrés Des prières Des ordonnances Des points à la belote Des allers-retours à l’année
Quelles représentations de l’exilé peut-on partager ? Aujourd’hui, la mémoire d’une autre époque éclaire la nôtre. D’Ulysse nous évoquerons les figures de l’enfant, du voyageur, du travailleur, de l’aventurier du père et de l’époux. Du Minotaure nous interrogerons le dédale solitaire privant de l’expérience de l’Autre. De la satisfaction de voir encore le monde nouveau à la colère de l’abandon, nous avons avec eux, en écoutant leur trajectoire, recomposé de toutes pièces des personnages métaphoriques aux silhouettes viriles.
Ces hommes qui ne se sentent ni d’ici ni de là-bas, sont des Figures composées de fragments. Je les fais participer à la composition de la photographie et éclaire successivement le visage, la main, le cou… Les images sont des montages de ces parties exposées isolément pour affirmer la figure de l’étranger comme pure composition.
La bande-son créé une épopée fictive à partir des documents pris sur le terrain, elle est proposée à l’écoute : le visiteur peut demander un casque à la billetterie du Théâtre. Autour des images, un haut-parleur actionné par un bouton poussoir diffuse une compilation de musiques de chanteurs des années 60 qui ont animé pour la plupart les cabarets de Paris et du Maghreb. Le choix est aléatoire, les séquences s’arrêtent à la fin du morceau, le visiteur doit relancer la musique en appuyant sur le bouton fixé au centre du vinyle
Il faudra aller chercher ces hommes habitant à 1km du théâtre pour qu’ils prennent connaissance de notre création collective mais les enfants et petits enfants viennent d’eux-même avec fierté.
De la rencontre avec ces publics restent une création photographique et sonore qui questionne (le visiteur du théâtre, le toulonnais,…) sur ce que sont les formes d’exils mais aussi sur la réalisation d’une image ou d’un son.
La parole des chibanis est brute, elle emporte avec elle le timbre du passage d’une rive à l’autre. Écoutez la bande sonore signée d’Alain Michon !
Remerciements : ADAJETI, Foyers ADOMA, Café Social de l’ATF, théâtre Liberté à Toulon
Transcription. Extrait
…/… Le champ, on ne connaissait rien d’autre. On a commencé à 5 ans jusqu’à 22 ans.
On ne connaissait pas autre chose. On ne connaissait pas le reste. On était là et le soir, on quittait le travail. On était amoureux. On chantait. On dansait. Le lendemain il fallait recommencer pareil. Parce que c’était ça.
Je suis parti à l’âge de 4 ans avec mes parents. Quand il y avait la guerre, on est parti pour la grande ville. Pour Oran.
Il y a eu 5 ans de sécheresse. Il n’y a pas eu d’eau. La terre était sèche, pourrie. On était obligé de partir. Il n’y avait rien ! Et comme les Français étaient en Algérie.
À cette époque là, les gens ramassaient les fleurs et les vendaient à la fenêtre. Et on ramassait l’escargot.
Moi je vendais l’eau.
À Oran, c’était de l’eau salée. Alors, sur un âne, une petite carriole…/…
Alors on a chargé un bourricot. Il marche doucement. Doucement. Doucement. Il marche comme une tortue.
J’allais jusqu’à la forêt. Je remplissait l’eau douce, douce ! Je revenais avec ça en ville pour la vendre 20 centimes la bombonne.
Je ramène de l’eau à la maison. L’eau qui coule comme ça, de la rivière, de l’eau qui vient de la terre. Avec un bidon. Mais le bourricot ne veut pas avancer.
J’avais une espèce de matraque solide, une matraque de bois d’olivier qui ne se casse jamais. J’étais en colère. Je l’ai mordu mais rien à faire. Tac tact tac sur le ventre, mais le sang n’est pas tombé, il a continué.
Cette histoire est vraiment dure. Dure ! Dure ! Maintenant les gens ne le croient pas et croient que vous racontez des blagues.
On a mangé de l’herbe, comme ça : verte, parce qu’il n’y avait rien.
On a mangé de l’orge, comme ça, sans la faire cuire. Et ça fait mal.
À l’âge de 4 ans, j’ai marché à pied du Maroc à Oran, 350km. On embarquais pour essayer de passer. Il y avait beaucoup de morts. Et quand on a passé de l’autre côté, on a vu des gens qui avaient allumé un grand feu et qui cuisaient des pommes de terre dedans. Ça sentait bon. On a approché. On a fait les mendiants. Des fois ils nous donnaient, des fois ils ne donnaient pas. C’était vraiment dur. Quand on pense à ça… !